Extraits du numéro spécial de Juin 1956 de la Tanière. (Imprimé à Saint Jacut de la mer à l’imprimerie Générale de M.Lévèque9)
Article n° 59 : La Révolution
Nous avons déjà parlé de ce recteur de St Jacut, l’abbé Bétaux, qui sétant lancé à fond dans le mouvement révolutionnaire, devint le premier Maire de St Jacut et, de bonne foi, prêta serment à la Constitution civile du Clergé. Quand parurent les deux brefs
du Pape Pie VI (10 mars et 13 avril 1791), condamnant la Constitution, il se rétracta et pris le maquis. Il revient souvent à St Jacut, clandestinement, jusqu’en 1793 où le terrain devenant trop brûlant, il passe à Jersey. Il entre en contact avec le réseau des Princes, qui entretiennent une « correspondance » extrêmement active avec le maquis de la côte, de Dinard au Cap Fréhel. Chargé de pouvoir des Princes, il commence la navette entre l’Angleterre et les maquis Chouans. Plusieurs de ses lettres furent saisies à Ploufragan, sur un agent de liaison. L’une d’elles, très significative, donne les consignes pour un « parachutage2 » d’armes et de munitions sur la plage de Vauvert,
à St Jacut. La voici :
Monsieur,
Je ne trouve pas de pilote, mais l’on veut nous faire passer des armes et de la poudre : il y a Mr de Chateaubriand (Armand, cousin de lécrivain, fusillé dans la plaine de Grenelle en 1809), et l’abbé Macé, qui sont à Jersey, qui peuvent servir de pilotes et faire le débarquement (Mr de Chateaubriand était du Guildo : sa famille possédait le Château du Val3). Voici l’endroit le plus propre à le faire. Il faut que le cotre ou la frégate vienne dans la rivière d’Arguenon, et là, mette une forte chaloupe à la mer, qui viendra se rendre à Vauvert, en St Jacut, en face du Château du Val, et il mettra à terre en sûreté. On aura soin d’envoyer le jour de son arrivée, une frégate qui aura pour signal un pavillon bleu à son grand-mât et un pavillon rouge à son mât de misaine. La dite frégate aura soin de s’approcher d’environ une lieue de l’Isle des Ebihens, afin de reconnaître les signaux, et la nuit, il se trouvera du monde pour enlever ce qu’on nous fera passer. Lorsque le bateau approchera de terre, on lui criera : « Joseph », et il répondra : « Charles » ; par là, on le reconnaîtra. Sitôt que la frégate qui viendra aura fait les signaux, si les vents sont de la partie SO, elle mettra le cap au NO. Si les vents sont de la partie de l’Est, il faudra mettre le cap au NE ; de cette manière, on ne pourra s’y méprendre.
Souvenez-vous que la rivière où il faudra mettre à terre, est la rivière d’Arguenon, entre St Cast et les Ebihens, et l’atterrissage est Vauvert, en St Jacut.
PS : Jai marqué à Mr de Puisaye un lieu de débarquement qui n’est pas celui que je vous indique. Il faudra vous en tenir à ce que je vous marque.
L’abbé devient si dangereux que le général Hoche lui-même, signe de sa propre main l’ordre de l’arrêter (06 Juin 1795). Traqué, il est pris à St Jacut, caché dans un champ de blé, et incarcéré à la Tour Solidor, à St Servan ; il est ensuite transféré à Rennes pour y comparaître devant une commission militaire. Le 30 Juillet 1795, il s’évade avec deux autres détenus, et reprend la lutte et le ministère clandestin, jusqu’au Concordat de 1801. Le préfet des Côtes du Nord qui a noté l’abbé « comme fanatique et intolérant, commissaire des Princes pour les Anglais, l’an II, III et IV, s’oppose à ce qu’il revienne à St Jacut, « avancée en mer qui doit être surveillée avec d’autant plus de soin que c’est un des points de communication avec l’ennemi avec l’intérieur ». Mgr Cafarelli, l’évêque de St Brieuc, obtempère et le nomme recteur de Languenan, le 16 janvier 1804. Il y mourra en fonction, le 06 février 1827, à 74 ans. Sa tombe est toujours dans le cimetière de Languenan, auprès du Calvaire.
En novembre 1792, un prêtre exilé à Jersey, l’abbé Pontgérard, rentre en France par St Jacut pour recueillir des fonds au profit des prêtres exilés. Il parcourt l’Ile et Vilaine et revient à Ploubalay où Louis Ohier l’abrite et lui fait trouver passage pour Jersey sur le « Philippe », patron Julien Morvan, pour 35 écus. Secoués trois jours par la tempête, ils sont arrêtés le 30 novembre 1792 par la corvette française « Le Furet », qui ramène à St Malo matelots et passagers. L’abbé Pontgérard est condamné à mort et exécuté à Rennes le 10 Mars 1794. Julien Morvan était encore en prison le 4 Mars 1794 : on ne sait ce qu’il est devenu.
Parmi les prêtres exilés, notons Mr Quétissant, qui à son retour, en 1803, fut nommé recteur de St Jacut en 1805, il fit ériger un Christ sur la place. On y attacha, écrit-il, un Christ, objet de la fureur révolutionnaire. Déjà mutilé à coups de hache par les soldats en garnison à St Jacut en 1794,un jeune homme aveugle, nommé Laurent Amirand, se jeta sur l’image du Crucifié au moment où on allait achever de le mettre en pièces, et la demanda avec tant de supplications aux soldats qu’ils lui permirent de l’emporter chez lui.
Cest Mr Quétissant qui donna l’absolution aux mourants de la « Clarisse ». « Ce corsaire (je cite un rapport officiel de la Marine), chassé par une frégate ennemie, s’était réfugié dans la rade des Ebihens. Surpris là par une tempête venant du Nord, il tenta vainement d’entrer dans le port de la Chapelle, mais il toucha à l’entrée, où il n’y avait point assez deau pour le recevoir, se jeta sur un rocher, s’y ouvrit et coula. Cet évènement eut lieu le 18 février 1807, vers 9 heures du matin. Des 36 hommes qui composaient l’équipage, 16 ont péri, 20 ont été sauvés, mais parmi ces derniers, plusieurs sont dans un état tel, par le froid, les contusions et les fatigues, que l’on craint pour leur vie. Les habitants de St Jacut ont montré beaucoup de dévouement et se sont exposés aux plus grands dangers pour arracher à la mer quelques-unes des victimes
»
Les corps furent inhumés près de la Croix des cimetières neufs (où est la Croix des dunes maintenant), à lendroit où reposaient depuis 1762, les restes des 40 naufragés du corsaire « Le Citoyen ».
L’abbé Quétissant est mort le 06 Septembre 1812.
Pendant toute la Terreur, alors que le sinistre Carrier procédait à ses atroces noyades, un prêtre de St Jacut exerça le ministère clandestinement à Nantes, c’était le père Jacques-Jean Dagorn, né à St Jacut le 22 janvier 1751. Il se cachait dans une maison rue Voltaire, sous le nom de Pierre Moulins. Après avoir fait ses études à Dinan, il était entré chez les Bénédictins. Arrêté à Nantes, le 10 nivôse an IX ( le 01 janvier 1801), il est déporté à l’île dOléron, par ordre de Fouché du 13 floréal an IX (3 mai). En 1802, il est libéré et nommé chapelain de l’Hôtel-Dieu de Nantes. Il meurt le 31 juillet 1826, à 75 ans.
Sources : études historiques et folkloriques de Saint-Jacut et ses environs (Chanoine Le Masson, Paul Sébillot)
Bibliothèque du chanoine Dagorn.
Bibliothèque municipale de Dinan : Section Bretonne
* Abbé Lévèque, vicaire de St Jacut en 1956.
Nota 1 : Article N°59 du cahier N°1 de la Tanière, correspondant aux deux dernières pages (45 & 46) du cahier.
Nota 2 : Parachutage, mot anachronique en rapport des années commentées, mais courant après la guerre 1939-1945, où il fut largement utilisé.
Nota 3 : Le Château du Val est situé sur la commune du Guildo, sur la rive gauche de lArguenon, donc face à Vauvert.